Nicolas Bigot, biologiste, travaille sur une protéine clé de la réparation de l’ADN
Dr Nicolas Bigot est un biologiste. Il travaille sur la protéine 53BP1, qui a un rôle important dans la réparation de l’ADN. Il a débuté le projet FARIDDAS au sein de l’équipe SPARTE à l’IGDR, à l’Université de Rennes 1.
[Equipe BIENVENÜE] Bonjour Nicolas, comment êtes-vous venu à travailler sur la réparation de l’ADN ?
[Dr. Nicolas Bigot] Je me suis d’abord intéressé, lors de mon doctorat à l’Université de Caen, à l’inflammation et au vieillissement cellulaire. Ce phénomène aussi appelé sénescence se caractérise souvent par des défauts de réparation de l’ADN et par l’accumulation de dommages à l’ADN. C’est un mécanisme qui empêche donc la transformation des cellules en cellules tumorales.
Voulant en apprendre plus sur ces mécanismes de sénescence et de réparation à l’ADN, j’ai effectué un premier postdoctorat à l’U1236 à l’université de Rennes 1, dont la thématique portait sur l’évaluation de la stabilité génomique et la sénescence des cellules souches de moelle osseuse. Par la suite, j’ai continué à travailler sur la réparation de l’ADN et la protéine 53BP1 en Angleterre. La protéine 53BP1 est une protéine indispensable pour le signalement des cassures de l’ADN les plus toxiques, qui si mal réparées engendrent des mutations et peuvent déclencher un processus tumoral. Cette protéine agit un peu comme un chef d’équipe, elle contrôle la constitution d’un échafaudage ou d’une bulle autour des cassures, ce qui assure le recrutement d’autres protéines qui elles peuvent réparer l’ADN.
53BP1 travaille en opposition avec une autre protéine appelée BRCA1, qui participe au phénomène de recombinaison homologue par lequel une réparation parfaite est réalisée, mais seulement lorsque des conditions précises au niveau cellulaire sont remplies. Ainsi, 53BP1 joue le garde-fou de BRCA1 et évite qu’il n’outrepasse ses fonctions, lorsque ces conditions ne sont pas rencontrées, et inversement. Toutes deux sont importantes pour la signalisation et la réparation des dommages de l’ADN, mais chacune s’assure que l’autre respecte sa place et assure son propre rôle selon le contexte cellulaire.
C’est une notion importante, qui a notamment fait émerger de nouvelles stratégies thérapeutiques. Imaginons que la protéine BRCA1 soit inactive de manière héréditaire chez un patient ou juste au seing d’une tumeur, il est alors possible d’utiliser une drogue qui aboutit à la formation de cassures de l’ADN spécifiquement au moment où BRCA1 serait le plus à même de jouer son rôle le plus important. BRCA1 étant de fait inactive, chez ce patient ou dans cette tumeur, 53BP1 outrepassera son rôle, prendra la place de BRCA1, mais ne pourra pas déclencher une réparation de l’ADN aussi fidèle que BRCA1 l’aurait réalisé dans ce contexte très précis, ce qui engendrera la mort de la cellule tumorale à cause d’un défaut de réparation adéquat de son ADN.
Les inhibiteurs de PARP sont notamment des molécules capables de provoquer l’émergence de cassures au moment où BRCA1 serait le plus à même de réparer parfaitement, comme évoqué précédemment. Cependant, avec la multiplication des études, on a remarqué l’émergence de cas de résistance à ces inhibiteurs de PARP, dans le sens où l’effet escompté n’était pas rencontré. C’est ce phénomène qui m’a donné l’idée de regarder si ces inhibiteurs ne modifiaient pas l’activité de 53BP1 également, rendant caduque la stratégie thérapeutique expliquée avant.
Sur quoi allez-vous travailler lors du projet FARIDDAS ?
Nous allons évaluer l’activité de 53BP1 dans la signalisation des dommages causés à l’ADN, lorsque les cellules sont traitées avec des inhibiteurs de PARP. PARP est une protéine essentielle qui modifie le contexte cellulaire tout autour d’elle lorsque des cassures interviennent. Nous soupçonnons ainsi que PARP modifie également 53BP1 sur quelques acides aminés et nous voulons voir si 53BP1 lorsqu’il n’est plus modifié joue toujours son rôle ou non. Plus clairement, les phénomènes de résistance aux traitements par des inhibiteurs de PARP sont-ils liés ou non à ces changements sur 53BP1 ?
Pour ce faire, je vais travailler avec des méthodes de microscopie qui permettent d’observer l’effet de ces traitements sur 535BP1 en temps réel sur des cellules vivantes. En effet, nous sommes capables de casser précisément l’ADN et d’observer comment intervient le recrutement de 53BP1, à savoir s’il est plus rapide, retardé, plus ou moins fort, etc. De même, les zones de 53BP1 que nous soupçonnons être modifiées par les PARP seront précisément mutées. Ainsi, si ces mutations aboutissent à un changement de réponse de 53BP1 en présence de ces inhibiteurs, nous aurons alors une certaine cartographie de 53BP1 et serons capables de dire si un patient ou une cellule affichant cette modification sur 53BP1 peut répondre favorablement ou non à un traitement par des inhibiteurs de PARP.
Au terme du projet, j’espère pouvoir mieux évaluer la cinétique des protéines, l’impact de PARP sur la protéine 53BP1. J’espère aussi comprendre les évolutions et les impacts de ces éléments selon le moment du cycle de vie de la cellule.
Pourquoi avoir choisi d’effectuer le projet FARRIDAS dans ce laboratoire ?
Je souhaitais d’abord revenir travailler en Bretagne, et approfondir mes recherches sur 53BP1. Il me paraissait évident de collaborer avec mon superviseur actuel, Sébastien Huet, car c’est un spécialiste de PARP, de son rôle dans les phénomènes de réparation de l’ADN et dans les techniques de microscopie qui permettent de l’observer. En contrepartie j’apporte mon expertise sur la protéine 53BP1 et les protéines qui lui sont associées.
Enfin, j’ai accès ici au matériel nécessaire « prêt à l’emploi », notamment avec de nombreuses lignées cellulaires, un millier de constructions d’ADN… Cela me permet de faire des expériences sur différents types cellules, d’observer spécifiquement certaines protéines avec certaines mutations, et de confirmer plus facilement mes hypothèses.
Avez-vous une recommandation pour un lecteur désireux d’en savoir plus sur le sujet ?
Je peux vous suggérer le livre « The Black Box of Biology: A History of the Molecular Revolution » écrit par Michel Morange. Ce livre souligne l’impact de la biologie moléculaire sur les découvertes scientifiques en biologie depuis un demi-siècle. De plus, vous êtes le/la bienvenu(e) de venir au laboratoire ou de communiquer avec nous. Les chercheurs apprécient toujours de partager, discuter à propos de leurs recherches.