Marie Jarrell, chercheuse en psychologie et en science informatique en réalité augmentée
Le Dr Marie Jarrell est une chercheuse américaine en psychologie et en informatique, qui débute le projet ARAvIden « Examining virtual Avatars in Augmented Reality’s Unique dual Present form of Identification and its cognitive effects on users » à l’IMT Atlantique en novembre 2021.
Equipe BIENVENÜE : Comment avez-vous commencé à vous intéresser à vos thèmes de recherche ?
Dr Jarrell : Je me suis d’abord intéressée à la recherche sur la représentation dans les jeux vidéo et à la manière dont le fait d’incarner des personnages virtuels peut affecter les comportements et les attitudes des gens. À l’origine, je m’intéressais aux préjugés sexistes et raciaux et à l’intersectionnalité, c’est-à-dire à la manière dont les multiples éléments de l’identité d’une personne interagissent et créent des types uniques de discrimination et de privilèges.
J’ai fini par m’intéresser à la réalité virtuelle (RV), puis à la réalité augmentée (RA), grâce à mes recherches et à mon amour des jeux. Dans la plupart des applications RV grand public, vous portez un écran monté sur la tête au-dessus de vos yeux et vous coupez ainsi la perception de votre corps réel pour vous connecter au corps d’un avatar virtuel. Avec les applications de RA, comme PokemonGo ou même les filtres Snapchat, vous avez une sorte de « double incarnation », où vous vous connectez à un personnage virtuel tout en gardant conscience du monde réel. Vous pouvez mélanger le virtuel et le non-virtuel en superposant des éléments virtuels sur vous-même. Ainsi, l’avatar virtuel est à la fois une extension de vous-même et une entité totalement distincte. Quels sont les effets de ce type d’expérience ?
Pouvez-vous nous en dire plus sur le projet ARAvIden ?
J’étudie les effets de l’identification des avatars par la RA, en particulier les avatars qui sont en fait des modifications de l’utilisateur, comme les filtres faciaux sur Instagram ou Snapchat. Ces filtres ne se contentent pas d’ajouter des éléments virtuels comme des oreilles de chien de dessin animé, ils peuvent déformer les traits d’un utilisateur pour créer une représentation hyperréaliste mais non moins virtuelle de l’utilisateur. Je m’intéresse à la manière dont l’incarnation de ces avatars virtuels semi-réalistes peut affecter les comportements et les attitudes des utilisateurs, tant vis-à-vis d’eux-mêmes que des autres. Mais pour l’instant, je lis surtout beaucoup de littérature, pour en savoir plus sur la façon dont les chercheurs et les consommateurs perçoivent la RA.
Qu’est-ce qui vous motive au quotidien dans vos recherches ?
J’ai toujours été intéressé par les technologies interactives d’un point de vue artistique. Elles nous permettent de nous engager dans de nouvelles histoires et de nouvelles expériences d’une manière que les autres médias artistiques ne peuvent nous offrir. Il est également beaucoup plus facile aujourd’hui pour un nombre toujours plus grand de personnes de créer des jeux, des filtres et des applications. Cette technologie change la société et les gens en général. Je veux soutenir, comprendre et aider les gens à faire face aux éventuelles conséquences positives et négatives.
Par exemple, certains rapports font état d’une corrélation entre les filtres de beauté Instagram et Snapchat qui modifient les traits du visage et une détérioration de l’estime de soi et de la santé mentale de certains utilisateurs. Ce phénomène, qui fait encore l’objet de recherches, a été baptisé « Snapchat dysphoria ». Nous assistons à une augmentation du nombre de personnes qui prennent des mesures extrêmes pour modifier leur apparence, par exemple en recourant à la chirurgie plastique. Il existe déjà une pression énorme sur ces plateformes et dans la société en général pour que les gens se conforment à des normes de beauté impossibles à atteindre. Si les filtres de RA contribuent à ce phénomène, la recherche en RA peut non seulement nous aider à en comprendre l’impact et la portée, mais aussi à le combattre de manière active.
Comment votre recherche peut-elle être utilisée à l’avenir ?
J’espère donner aux gens une connaissance approfondie de la technologie virtuelle. L’utilisation de la technologie virtuelle a connu un essor sans précédent ces dernières années – en fait, nous l’utilisons en ce moment même en parlant par vidéoconférence, et son assimilation dans nos vies ne fera que croître. Pour en revenir à l’art, c’est amusant car la science-fiction aborde depuis longtemps toutes ces questions.
Il y a certainement des questions techniques à aborder, comme l’infrastructure permettant aux gens d’interagir. Cependant, il y a aussi beaucoup de détails auxquels la plupart des gens ne pensent pas. Par exemple, les chercheurs savent depuis longtemps que les utilisateurs modifient leur comportement en fonction de caractéristiques même mineures de leur avatar, comme la taille. C’est ce qu’on appelle l’effet Proteus, qui peut amener les utilisateurs à adopter certains comportements confirmant les stéréotypes. Il est donc important d’apprendre et de se préparer dès maintenant pour pouvoir affronter l’avenir sans crainte.
Pourquoi avez-vous choisi de venir en Bretagne ?
Un ami m’a parlé du programme et m’a présenté le Dr Etienne Peillard, qui était prêt à superviser tout chercheur postdoctoral intéressé. Son laboratoire mène des recherches très similaires aux miennes, sur les effets psychologiques de la réalité virtuelle. Il héberge également un laboratoire RA / RV avec des outils et des équipements avec lesquels je n’avais jamais travaillé auparavant. J’y ai vu l’occasion d’élargir mes compétences professionnelles et de vivre une expérience internationale, alors je l’ai contacté. Il ne restait que quelques semaines avant la date limite de l’appel, mais j’ai reçu beaucoup de soutien et d’encouragements de sa part et de celle de mon précédent superviseur, et j’ai pu soumettre une proposition. J’ai été agréablement surpris de l’accueil que lui ont réservé les examinateurs.
Avez-vous des recommandations à faire aux lecteurs curieux de ce sujet ?
Il est vraiment difficile de réduire ma liste car il y a tellement d’excellents endroits où commencer. Je recommande tout d’abord l’article sur l’effet Proteus de Nick Yee et Jeremy Bailenson. Je vous invite également à visiter ma page Web et à prendre connaissance de mes recherches passées sur les interactions entre avatars de jeux vidéo, l’intersectionnalité et les préjugés. Outre les articles universitaires, vous pouvez vous tourner vers la science-fiction, des classiques comme Star Trek et Doctor Who aux créations plus modernes comme Black Mirror. Enfin, comme une grande partie de mon travail implique des questions philosophiques sur l’identité et l’idée même du soi, je vous recommande Bell Hooks et son travail sur l’exploration de l’identité à travers une vision intersectionnelle.
Merci Marie !